mercredi 15 novembre 2017

Sans un bruit.



- …

Un peu sonnée, j’ai relevé le visage vers celui de ma patiente, mi-satisfaite, mi-vexée de voir que je ne souriais pas à l’énoncé de son dernier potin fraichement rapporté du bourg dans lequel elle était allé chercher son pain. Elle le savait pourtant depuis le temps que je la soignais que les ragots m’agaçaient plus qu’ils n’excitaient ma curiosité. C’était son truc à elle et elle me les faisait partager à chaque soin bien malgré moi. J’ai toujours détesté écouter les gens parler de la vie des autres, surtout quand la phrase commence par un « Oh, et puis vous ne savez pas la dernière ? » et qu’elle se termine par un « Rooooh » guttural et satisfait d’une bouche qui semble se nourrir du malheur de l’autre. Je lui ai seulement répondu « C’est bien triste… ». 
Trois petits mots qui se voulaient pudiques, comme pour garder un peu de toi en en partageant le moins possible avec la mangeuse de malheurs. Trois petits mots pour résumer trois années à tes côtés, c’est vrai, c’est bien triste.

Comme pour me protéger de ce qu’elle pourrait me dire de toi, je me suis enfermée dans ma bulle tout en restant à disposition de ma patiente dont je défaisais les bandages sales. Et puis, alors que j’enroulais la compresse stérile autour ma pince kocher avec un geste rapide et sûr, j’ai repensé à toi et à la toute première fois que tu m’avais vue le faire. Un « Oooh !» admiratif était sorti de ta bouche devant ce geste qui était devenu pour moi une habitude mais qui faisait toujours son petit effet la première fois. Tu avais souri en grand quand je t’avais répondu « Ah bah c’est un métier Monsieur, trois ans d’études pour apprendre ça ! ». Ton sourire, c’était un peu ta marque de fabrique. Le temps, tu t’en fichais pas mal. Qu’il fasse beau ou qu’il fasse moche tu souriais au ciel. Mes retards, t’importaient peu car tu savais que d’une manière ou d’une autre, je finirai par franchir la porte de ta maison en m’excusant platement avec ce sourire de travers comme pour m’excuser d’une connerie que j’aurais faite. Et toi, tu souriais et tu m’accueillais en serrant avec force et douceur ma main en m’appelant ta Petite Charline alors que je te dépassais d’au moins deux têtes.


Et puis il y avait eu les prises de sang, les examens et le couperet du diagnostic qui était tombé en tranchant net dans ta vie, tes envies et dans celles de ta femme et de ton fils. S’en était suivi mes injections, mes pansements, mes pinces et mes mains au contact de ton corps qui semblait rapetisser dans ce lit que ta faiblesse et la maladie t’empêchaient de quitter. Ta femme s’est occupée de tout, refusant avec gentillesse nos propositions de venir vous aider à accueillir la fin de ta vie. Elle est incroyable ta femme tu sais, elle aurait tout fait pour toi. Toi qui étais fort et tellement fragile en même temps... Sans un bruit, je quittais ta chambre et je vous laissais gérer la maladie entre vous, un peu frustrée de ne pas en faire davantage. Je n’écoutais plus ma patiente qui parlait maintenant de la date et du lieu de l’enterrement.


- Il risque d’y avoir du monde !

J’ai acquiescé sans rien dire de plus. Ma patiente continuait de combler bruyamment mes silences sans même se rendre compte que je lui en voulais. Je devais passer te voir le lendemain, un petit coucou comme ça, sans soin ni rien, juste pour savoir comment tu allais, histoire de garder le lien… Je lui en voulais de m’avoir annoncé ton décès. Toi qui était parti sans un bruit, apprendre ta mort de la bouche de la mangeuse de malheurs l’avait rendu plus douloureuse. Ce n’est peut-être pas plus mal finalement de l’avoir appris maintenant, ça aura au moins évité à ta femme de me l’annoncer en m’accueillant chez vous. Il n’empêche, on devrait toujours accueillir la mort avec discrétion histoire de nous rappeler que non loin de là, quelqu’un a accueillie la sienne, sans un bruit.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...