jeudi 29 septembre 2016

Travailler avec son cœur, ça fait mal aux tripes.




- Oui oui, c’est une vieille ordonnance, mais je n’étais pas spécialement pressée de faire ma prise de sang. Et puis on vient d’apprendre le décès de la maman d’une camarade de classe de ma fille, elle était malade, du coup j’ai eu un peu peur... Oui, c’est une jeune qui habite sur la commune et qui avait un cancer.

Maman. Jeune. Sur la commune. Cancer. 

D’un coup, j’ai relevé les yeux de la veine que je tâtais du bout de mon index et j’ai osé la question dont je redoutais la réponse : « Elle s’appelait comment ? ».

Un éclair glacial est parti du bas de mon dos pour rejoindre ma nuque tel un courant électrique lorsque j’ai entendu son nom. Ton nom… Un simple et petit con de mot est sorti de ma bouche alors que je regardais mes doigts travailler seuls et enfiler les tubes dans le corps de pompe. « Oh… », je n’ai dis que ça. Je ne sentais plus rien. Comme une spectatrice, je voyais mes mains retirer le garrot et comprimer la veine avec ce petit bout de coton retenu par un sparadrap. Je regardais le stylo écrire ton nom sur le tube qui ne contenait pas ton sang, puis le rayer pour y noter celui de ma patiente. J’ai terminé le soin comme un robot. Comme un robot immergé au fond d’une piscine qui le priverait des sons extérieurs et de toutes sensations intérieures.

Dans mon véhicule, j’ai dû regarder mon agenda. Incapable de me rappeler quel soin j’allais faire juste après, quel patient m’attendait alors que quinze minutes plus tôt un simple coup d’œil m’avait fait mémoriser ma matinée toute entière. Sans trop me poser de question, je me suis rendue chez la patiente suivante que je savais mal. 
Mal dans sa peau, mal dans son corps, mal dans son cœur. Je l’ai écouté avec une oreille peut-être un peu distante mais semble-t-il suffisante pour qu’elle me remercie et qu’elle s’excuse : « Je suis là pour soulager vos douleurs mais pour les écouter aussi, c’est normal. ». 
Non, ce n'est pas normal. C’est juste stupide et faux-cul parce que je n’en avais même pas envie en vrai. En vrai, je voulais lui hurler que quatre maisons plus loin une jeune femme qui avait mon âge et le sien était décédée parce que son corps, ce corps dont elle se plaignait, n’avait plus la force de retenir sa vie à elle. Sa putain de jolie vie de jeune maman, de femme heureuse, d’ingénieur et de tout ce qu’elle aurait pu être s’il n’y avait pas eu ce cancer à la con… En vrai, je lui ai dit que la vie était bien faite et qu’il fallait laisser venir les choses à soi. En vrai, à ce moment-là, je n’y croyais plus à la vie, à la belle étoile, au porte-bonheur, aux signes et à tout ce qui pourrait faire battre un cœur avec envie.

Les soins se sont enchainés mollement. Je voulais faire vite mais je n’y arrivais pas. Je devais à chaque retour dans ma voiture regarder à nouveau mon agenda pour me rappeler qui voir et pourquoi, pour me rappeler quel chemin prendre et faire demi-tour encore et toujours. 


- Ça va toi ce matin ? T’as l’air fatiguée.

Il me connaissait tellement bien ce petit père que je soignais depuis des années. Lui qui adorait m’entendre lui répondre que j’avais le temps pour qu’il m’emmène me montrer ses derniers veaux. J’aurais voulu être sincère et lui dire que ça n’allait pas et que ça faisait quatre heures que je retenais mes larmes. J’aurais voulu Lui avouer que j’avais mal aux tripes, mal à mon cœur et mal à mon envie d’aider l’autre. J'aurais voulu lui dire que ce matin je détestais ce boulot qui me faisait soigner des futurs morts, qui me faisait soulager des corps qui de toute façon finiraient par mourir même à 34 ans... Lui demander à quoi ça sert tout ça ? Lui dire que je voulais juste rentrer chez moi pour enfouir mon nez dans les cheveux de ma fille, mon visage dans le cou de mon mari et mes pieds dans mes bottes pour aller pleurer dans mon jardin. J’aurais simplement voulu lui répondre que non ça n’allait pas ce matin mais que demain ça irait mieux. 
Et puis j’ai regardé mes chaussures, ma vue s’est troublée. Je me suis simplement entendue lui répondre « Ça va, y’a du boulot et j’ai ce gros rhume qui me fait parler canard, et je suis fatiguée. Ça ira mieux demain ». Il a eu la pudeur de ne pas insister et m’a raccompagné à ma voiture en me saluant avec cette petite moue du mec qui n’est pas dupe et qui comprenait que je ne voulais pas l’inquiéter.

mercredi 28 septembre 2016

Et j’ai le cœur qui saute.





- Oui, bonjour, excusez-moi de sonner chez vous aussi tôt mais je devais intervenir ce matin chez votre amie et elle ne répond pas. Ni à la sonnette, ni sur son fix ou son portable. Les volets sont fermés… Je sais que vous avez une clé. Je ne cherche pas à vous inquiéter mais si vous pouviez me la donner, ça me permettrait de m’assurer qu’elle va bien…


Les traits de son visage se sont tirés et j’ai vu naitre derrière son sourire accueillant l'angoisse naissante d’imaginer le pire pour sa vieille amie. Il m’a sorti la clé du tiroir de son bureau parfaitement ciré. Je ne me suis pas attardée et je l’ai quitté, lui et son sourire effacé.


« ‘Me fais pas ça, me fais pas ça, s’il te plait, pas toi… ».
 

Je suis remontée dans ma voiture pour me rendre au plus vite de l’autre côté du bourg. Tombée, inconsciente, morte… Endormie. Oui « endormie », c’est bien ça « endormie ». Même si tu es une lève-tôt, dis-moi que tu dors encore. Mon ventre s’est serré… J’ai laissé passer le tracteur qui me bloquait la voie et j’ai passé la première. Sur le trajet je n’avais de cesse d’analyser la situation avec toute l’ambivalence d’une bête à deux visages. Le visage de l’infirmière qui connait l’état de santé de sa patiente. Qui sait combien elle peut être mal en ce moment, qui sait que cette porte n’est normalement jamais fermée et qui sait qu’elle n’a jamais loupé un rendez-vous depuis toutes ces années. La soignante qui sait trop bien que ce genre de situation arrive, et pas qu’aux autres et qui sait que les patients ne se réveillent parfois jamais derrière leurs volets fermés. 


En regardant dans mon rétroviseur, j’ai croisé ce regard inquiet identique au vieil homme que je venais de quitter. J’y ai vu le visage de cette amitié qui, un jour, a pris le pas sur les soins techniques. Sur ces cotons imbibés d’alcool, sur ces garrots, sur ces plaies et sur ces mots susurrés entre nous comme des confidences qui n’avaient plus rien de médicales. La frontière entre ma bienveillance purement professionnelle et cette amitié que je ressentais envers elle était devenue aussi fine que la peau de sa main sur laquelle je m’évertuais à chercher une veine…  


« J’aurais dû intervenir plus tôt… J’aurais pu le faire vingt minutes plus tôt… J’aurais dû, pourquoi je ne l’ai pas fait ? … ».


J’ai garé ma voiture tout près et un peu à l’arrache devant chez toi. J’ai anticipé le pire en prenant avec moi ma mallette de soins, mon appareil à tension, mon saturomètre et mon restant d’optimisme que je n’avais pas encore dégluti avec ma boule de stress. Sur ta porte il y avait encore mon post-it sur lequel j’avais noté « Je repasse tout à l’heure ! » avec ce point d’exclamation joyeux que tu prendrais plaisir à découvrir en m’ouvrant ta porte d’entrée. Mais aux deux coups de sonnette, tu n’as pas répondu. J’ai décollé le post-it et je l’ai mis en boule dans ma poche en espérant que je ne retomberai pas tristement dessus ce soir en me déshabillant… J’ai inséré la clé dans ta serrure, d’abord dans le mauvais sens. C’est toujours pareil et j’ai pensé à toi et au jour où tu m’avais dit : « Mais pourquoi quand on ouvre une boite de médicaments on tombe toujours sur le côté où il y a la notice, c’est casse pied ! ». C’est casse pied oui, et ce matin moi, j’ai le cœur qui saute et qui se serre devant cette porte qui vient de s'ouvrir

mercredi 21 septembre 2016

Coup de gueule infi' #21 : Les infirmiers, ces gros citrons.




- Ah oui oui, j’ai vu à la télé l’autre jour, y’avait des infirmières qui parlaient de leurs conditions de travail et tout. C’est vrai que vous avez pas un boulot facile hein… Vraiment dur et ingrat des fois.... ‘Pis vous êtes mal payé… Mais c’est un beau métier hein attention ! Mais moi j’voudrais pas l'faire… 

« J’voudrais pas l'faire… ». 

Le gentil petit père qui me tendait le bras pour sa prise de sang semblait presque peiné pour moi que je sois infirmière. Que je sois celle qui tenait l’aiguille à la recherche de l’unique micro veine dans le pli de son coude, pour 3€04 net. Que je sois celle qui venait laver, habiller sa femme dans une maison inadaptée pour 5€20 net la demi-heure. Que je sois celle qui parcourais les kilomètres au milieu des champs qui les séparaient du bourg dans lequel ils ne pouvaient plus se rendre, pour 2€50 à chacun de mes déplacements… 

Mais voilà même si mon métier est parfois « dur et ingrat », mes patients restent le formidable moteur de ma motivation à démarrer tous les matins. Grâce à eux, je n’ai presque pas besoin d’un pied de biche pour me décoller du matelas. Parce que je sais que ma petite-mamie-soleil va me sourire comme la veille, parce que je sais que mon autre patient-chouchou me demandera comment je vais moi et que ça me touchera comme la dernière fois, parce que je sais que sans mes soins, beaucoup de mes patients ne pourraient pas rester chez eux à profiter de ces maisons qui les ont parfois vu naitre.. 
Mais alors que j'aime profondément mon métier, ceux que je soigne me font parfois l’effet d’un morceau de sucre dans le réservoir tellement certaines de leurs réflexions, volontaires ou non, ralentissent voire stoppent mon envie de continuer à aider l’autre :

« Vous êtes en retard !... Et c’est déjà bien assez cher !... Vous trouvez pas ma veine alors que vot’ collègue, lui, il y arrive toujours !... Vous êtes en avance !... Ah parce que vous travaillez aussi le dimanche et à Noël ? Vous avez une sale mine ce matin !... Ah mais si, je suis sûr de vous avoir payé !... Ah bah pour une fois vous êtes à l’heure !... ».

« J’voudrais pas l'faire… ». Voilà ce qu'il m'a dit ce matin. Quelques mots tout cons comme autant de petits sucres dans mon moteur un poil fatigué je dois l'avouer. Et d’un coup, sans crier gare, je n’ai plus eu envie. Je me suis garée sur le bas-côté tout près de ce grand chêne, un des rares endroits où je captais suffisamment pour écouter mon répondeur : 


- Oui bonjour, voilà, je voulais savoir si vous pouviez venir voir mon pied parce que la plaie coule beaucoup et ça sent quoi… Ça sent pas bon en fait. J’ai une ordonnance mais le chirurgien m’a dit de faire mes pansements moi-même parce que je n'avais pas besoin d'une infirmière… Mais là ça fait dix jours que c’est rouge et ça coule et ça fait mal, voilà. Je serais chez moi qu’en début d’après-midi parce que je dois sortir faire des courses. A tout à l’heure !

Pfff. 

J’ai reposé ma tête contre le siège de ma voiture en soufflant ce bruit de ras le bol, comme si mon envie se dégonflait. Quelques semaines plus tôt s'étaient des injections ratées d'anticoagulants que j'avais dû rattraper chez une dame et peu de temps après s'était carrément des agrafes qu'un patient s'était enfoncé profondément dans la peau en voulant les enlever lui-même parce que son médecin lui avait dit qu'il n'avait pas besoin d'infirmière pour faire ça si il se procurait un ôte-agrafe... J'ai imaginé ces médecins dire à leurs patients combien mon travail était inutile et j'en ai eu marre, d'un coup, qu'on puisse supposer que je ne serve à rien. Et comme un engrenage à la con, je me suis mis à penser à tout ce que j'essayais de mettre de côté durant ma tournée pour ne pas parasiter mes soins et cet esprit « Full-of-love » avec lequel j’essayais de soigner chacun de mes patients. 

J'ai repensé aux cinq infirmiers qui s'étaient donné la mort cet été et à notre profession toujours dans l'attente que notre Ministre exprime une peine qui ferait écho à la notre. J'ai repensé à sa réponse sous la forme d'une «Prévention des risques psychosociaux-bla-bla-bla-ressers-moi-un-café» alors qu'on aurait besoin d'actions concrètes et non de tables rondes qui ne feraient que confirmer ce que l'on sait déjà : on a besoin de moyens et qu'on arrête d'associer la santé à la rentabilité. J'ai repensé à l'infirmière et à cette kiné libérale abattues il y a deux ans pendant leur tournée de soins et dont on a jamais entendu parlé dans les médias. J'ai repensé à ce patient qui me doit 17€ et qui refuse de me payer malgré mes relances depuis deux mois.  
J'ai repensé à la visite annuel de l'agent de la CPAM la semaine dernière à mon cabinet et qui a conclu notre entretien par un : « Nous allons augmenter les contrôles concernant les IK (le paiement des déplacements hors commune) et les tarifications de nuit, attention à vous ! » alors que ces deux points ne concernaient même pas mes soins. Je me suis dis que j'étais une fraudeuse avant même de l'être, je me suis dis qu'on se foutait bien de ne pas me payer, je me suis dis qu'on se foutait bien que les patients mettent leur santé en danger et qu'on en avait rien à faire que les soignants aillent mal... Je me suis dis que j'étais un citron.

J'ai regardé mes mains qui tenaient fermement le volant, pas décidées à passer la première. Je me suis revu regarder ces mêmes mains la veille au soir. Posées sur le clavier de mon ordinateur et ces doigts qui ne savaient plus quoi écrire alors que je relisais pour la énième fois le message de cette jeune femme en souffrance que j'avais reçu sur mon blog


- Je suis émue et enragée car il n'y a pas eu cinq infirmiers suicidés cet été, mais 6. La sixième, c'est ma Maman. Un lundi matin, elle n'a plus eu la force de se lever pour aller travailler. Elle était infirmière. C'était le 4 juillet, elle avait 48 ans.


J'ai dégluti une boule de tristesse aromatisée à la colère dont l'amertume me fit monter les larmes... A l’époque de mes coups de mou à l’hôpital, je refilais mon couloir à ma collègue en l’implorant de me laisser descendre fumer une clope deux minutes. Mais en libérale j'étais seule et j’avais eu depuis, l’excellente idée d’arrêter de fumer. 'Chié. 

jeudi 15 septembre 2016

Coup de gueule infi' #20 : Moi, infirmière.




- Bah alors, vous faites pas grève comme vos collègues à la télé ?


D’un mouvement de menton auréolé d’un large sourire, mon patient m’indiquait son écran de télévision et le journal de 13h diffusant un rapide reportage sur les grèves des hospitaliers. On pouvait voir quelques soignants regroupés avec des banderoles et des messages de revendications. Tout en préparant mon matériel, je lui ai répondu « Bien sûr que je fais grève, mais comme la majorité de mes collègues je continue de travailler ! ». Il a eu ce petit rire-soufflé par les narines, le genre de son auquel je ne prête habituellement aucune attention mais qui m’a énervé, un peu, beaucoup ce matin-là. 

Le suicide des cinq infirmiers de cet été il n’en avait pas entendu parler, ni dans les journaux, ni à la télé. Ce n’était pas de sa faute après tout puisque tout le monde semblait s’en foutre. Il ne savait pas que les aides-soignants se suicidaient aussi, tout comme les médecins, ou même les kiné’ qui assuraient les rééducations comme la sienne. Non. Lui, il avait simplement vu qu’on faisait grève à la télé avec quelques banderoles faites avec des draps blancs et il s’était peut-être dit que les soignants n’étaient que des gueulards, comme tout bon français qui se respecte.

Semblant satisfait de sa dernière réflexion, mon patient tout sourire m’a salué pour me dire au revoir. Et alors que je m’apprêtais à partir je lui ai dit : « Vous savez, peut-être que demain, je ne serais plus là… ». Son sourire est retombé. Je me suis expliquée et je lui ai raconté. Je lui ai raconté ce que c’était que d’être soignante, ce que c'était d'être infirmière, ce que c'était d'être moi.

Moi étudiante infirmière, j’ai fait trois ans d’études pour m’occuper des gens, pour soigner mes patients. Trois années pour apprendre les concepts d’empathie et de bienveillance, pour soigner au mieux, pour soulager comme on peut. Trois ans pour apprendre les bons gestes pour guérir parfois, pour soutenir souvent, pour accompagner toujours et vers la mort quelques fois. 
Moi étudiante infirmière, j’ai été formée pour comprendre que ce métier je l’aimais autant que j’aimais ceux que j’avais au bout de mes pinces kocher et de mes aiguilles aiguisées. 
Une formation pour intégrer au plus profond de moi-même les plus belles valeurs du métier d’infirmière que je tenterais ensuite d'amener naïvement sur le terrain tel un petit Bisounours rose "Force-in-Love" avec un cœur sur le ventre blindé d'envie d'aider l'autre et à la motivation boostée par ce sentiment d'utilité. Mais voilà, le diplôme en poche et la réalité en pleine face j'ai pris mes fonctions et mon Bisounours a perdu son p'tit coeur arc-en-ciel...

mercredi 7 septembre 2016

Ifsi : ce concours d’entrée qui te donnerait presque envie de sortir.



J'ai garé ma 205 sur le parking de la morgue, tout près de l’hôpital. Rien de tel qu’un lieu familier et rassurant pour affronter la dernière étape de ma peut-être future vie. Je sortais de la poche arrière de mon jean la convocation à l’oral pour m’assurer que j’aurai le temps de me fumer une dernière clope : vingt minutes d’avance. Cool j’allais peut-être même finir mon paquet et mâchonner un chewing-gum à la menthe forte histoire que le jury ne sente pas trop cette haleine nicotinée et cétonique que le stress et l’absence de réels repas depuis plusieurs jours avaient rendu acide. 

Assise au soleil sur un muret, je faisais face à ce qui allait être ma future école, mais je ne le savais pas encore. La façade était crade et moche mais peu importe. Je tirais nerveusement sur ma clope, un peu stressée à l’idée de passer mon oral. « I.F.S.I. : Institut de Formation en Soins Infirmier », c’était la dernière étape décisive pour entrer à l’école d’infirmière, ce pour quoi j’avais quitté mon poste d’assistante funéraire et mes études supérieure de commerce. Mon ventre s’est serré, je me suis rallumé une cigarette. 

En soufflant la fumée, je repensais à l’étape de l’écrit, celle qui m'avait le plus inquiété et que j’avais validé à ma grande surprise. Dans cette immense salle qui servait habituellement aux gros concerts du coin, 1 200 participants étaient alignés comme dans une grille de morpion géant. Plus de mille participants et seulement 150 places à la rentrée, pression. J’étais sortie de la salle la tête moyennement haute avec juste ce qu’il me fallait de point pour me permettre de passer l’oral : « ni trop, ni trop peu », « moyennement moyen », à l’image de la totalité de ma scolarité quoi…

Ceux qui étaient convoqués à la même heure que moi commençaient à entrer dans le grand bâtiment, c'était l'heure. j’écrasais ma cigarette dans le cendrier en expirant un souffle sans fumée.
A l’étage, une petite salle et vingt tables. Sur le tableau de craie dont les deux pans latéraux avaient été volontairement fermés, le sujet caché derrière, allait nous être révélé. C’était LE sujet qui allait déterminer mon niveau de culture générale, LE sujet qui devrait lancer mon oral, LE sujet qui allait déterminer si le jury me ferait assez confiance pour me permettre d'intégrer cette formation de trois ans et demi. On nous a rappelé le temps (trop court) pour préparer le passage devant le jury et les portes du tableau se sont ouvertes en nous révélant le sujet de l’oral… 

C’est une blague ?! 

J’entendais déjà les stylos bille gratter sur les feuilles vierges qu'on avait laissé sur nos tables. Moi je relisais le sujet dans ma tête pour la quatrième fois en tentant de le comprendre : « La quête pour être soi envers et contre tout mène-t-il forcément à l’isolement social ? ». Vous avez dix minutes, dis putains de petites minutes. Bam !

Ils sont sérieux ? De la philo’ ? En dix minutes ? Je croyais que les sujets traitaient du social ou de la santé… Dans quoi je me suis embarquée bordel. J’étais sûr que ce n’était pas pour moi tout ça… Pourquoi j’ai refusé le contrat de mon ancien boss aux pompes funèbres… Infirmière, franchement, en plus je n’ai aucun soignant dans ma famille, aucun repère… Et puis  « l’isolement social » tiens tu parles, je me sens bien seule là d’un coup ! Si je croisais un ermite je le ficherais à la porte de sa grotte pour aller m’y cacher loin, bien loin de cette salle et de ce sujet auquel je ne captais rien... 
Je regardais l’horloge et ceux qui autour de moi avait déjà rempli la moitié de leur feuille. « La quête pour être soi »… Sans déconner… Je sais même plus là, qui je suis, si d’un coup j’ai envie de devenir infirmière… Je viens du commerce moi. Il y a encore quelques semaines, je manipulais des bilans comptables et des cadavres dans des chambres funéraires… 
 
- Il vous reste deux minutes !

Et merde. 
Je tenais devant moi une feuille vierge avec dessiné en son centre un gribouillis au stylo bille. Genre « grosse merdouille » qui n’aurait même pas pu me faire passer pour une nana douée en art… Qu’est-ce que je vais leur dire moi, que j’ai rien capté au sujet ? Je vais passer pour une semi-débile… A part le magazine de la santé, Dr House et pleins d’opérations quand j’étais ado’, j’y connais quoi moi au milieu de la santé ?!...

- Je vous laisse reposer vos stylos, un membre du jury va venir vous chercher pour passer l’oral.

La douce Elo'

- Elle était d’une douceur, tu sais… Je n’en doutais pas et je ne savais pas quoi lui répondre… Quels mots pouvais-je bien trouver...